Un livre
d’Antoine Emaz en collection de poche, cela pouvait sembler nécessaire.
C’est la nouvelle collection « Points poésie » qui comble
la lacune. Il s’agit d’une anthologie de poèmes 1990-1997 composée
de recueils et de plaquettes souvent épuisés ou dont les éditeurs ont
mis la clef sous la porte. La trajectoire par laquelle s’est
construite dans les années 90 l’identité poétique d’Emaz est
ainsi reconstituée.
Comme l’écrit
Jean-Patrice Courtois dans la postface, avec Emaz, « le réel
ne chante pas mais il parle ». Il y a en effet dans le dire
d’Emaz le refus, par principe, de tout ce qui, de près ou de loin,
pourrait suggérer la quête d’un ailleurs, préconiser l’envol (le
ridicule de l’envolée !), mais également celui de la recherche
d’une beauté immanente, même dans l’instant (refus de la grâce,
peur de l’emphase du sentimentalisme, méfiance pudique vis-à-vis de
l’expression de l’amour
en poésie, méfiance vis-à-vis des adjectifs même). Le poème
d’Emaz affronte la rugosité du réel. Il s’obstine à saisir dans
l’environnement quotidien, familier (la fenêtre, le jardin, la
glycine, la toile cirée, cette toile cirée qui est en passe de devenir
le « personnage » poétique par excellence de la poésie
contemporaine…) les rudes limites de l’être. Pas de divertissement,
mais le face à face avec notre condition bornée sans le salut
pascalien par la foi : Emaz ou la poésie contemporaine comme la
seule éthique possible de l’épure pour un moraliste d’ après la
mort de Dieu.
Le parti pris est
de faire face, sans complaisance, aux grimaces vaines du travail et de
la vie sociale à vivre « en apnée » dans la succession
aveugle des jours et des semaines, de disséquer la fin du jour, souvent
plus douce pour le regard et la solitude, mais qui dans sa fugacité
annonce la limitation de la vision par la nuit, avant que les yeux se
ferment quand la peur advient…Cette poésie sans concession est une méditation
qui passe à la limite de l’abîme, exprime une sensualité abstraite,
froide, élémentaire (la vision est essentielle mais elle est nue,
voire le terrible « Fond d’œil »… ). On pourrait
presque parler, par la co-présence de la vision et du monde, d’une phénoménologie
de l’expérience la plus concrète du mal-être. « On »
(le neutre ?) étouffe dans les bornes de sa chair. « On »
est à l’étroit dans l’être. Mais « on » dure. Il est
possible de n’être pas d’accord avec tous les présupposés de
cette écriture, force est toutefois de reconnaître la probité et la
puissance de cette voix résolument singulière, une voix importante de
notre temps, qui a d’ailleurs exposé sa « méthode » dans
ce beau journal qu’est Lichen,
lichen (éd. Rehauts) et qui constitue un complément assez
chaleureux à ce Caisse claire
plutôt glacial.